Journal de bord en Turquie 🇹🇷 : cap à l'est
Ça y est, après 4 mois de voyage, nous arrivons au carrefour de l'Europe et de l'Asie. Les paysages changent, les couleurs aussi. L'Orient, cette contrée aux mille merveilles, nous ouvre ses bras. Le moment d'écrire un nouveau chapitre de notre périple est venu.
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Jours 162 à 164 🇹🇷 - Les madrasas de Sivas
Sivas, Turquie le 16 juillet 2022
Cap à l'est !
Le trajet en bus de Göreme à Sivas se fait plutôt rapidement et sans encombres. Déposés à la gare routière de la ville, nous parcourons à pied les 3 kilomètres qui nous séparent de notre hôtel le green park hôtel.
Situé à 10 minutes de la gare, cet hôtel 5 étoiles s'avère être le meilleur rapport qualité-prix pour les deux prochaines nuits. Alors on ne dit pas non à un peu de luxe pour 35€ la nuit (chambre, petit-déjeuner, piscine, sauna et bains turcs compris).
On passe l'après-midi à l'hôtel, à profiter du lit XXL, à jongler entre sauna, hammam et bains turcs. Tellement agréable et ressourçant. Nous ne faisons cependant pas honneur à la piscine ; le bonnet de bain y est obligatoire. Comme tu peux l'imaginer, malgré nos sacs à dos bien équipés façon Mary Poppins, on a bien cherché, le bonnet de bain ne fait pas partie de nos indispensables.
Le soir nous n'allons pas bien loin, un grill à quelques mètres de l'hôtel nous offre deux assiettes de kebab très bonnes. Un peu gras, mais très bon.
Sivas, Turquie le 17 juillet 2022
Après avoir difficilement émergé de ce lit fabuleux, nous découvrons le petit-déjeuner gargantuesque. Nous nous faisons plaisir, peut-être même un peu trop. Assiettes sucrées, assiettes salées, tout est vraiment bon. Ce sont surtout les pancakes qui nous plaisent énormément, ça faisait longtemps. Alors on en abuse, surtout que demain on ne pourra pas refaire honneur au buffet. On sera partis bien avant.
Totalement rassasiés, il est temps de quitter notre petit paradis pour la journée. Nous prenons la direction de la gare, que nous dépassons pour entrer dans le coeur de Sivas.
Sivas est située sur la route historique de la soie. Son histoire est impressionnante tant religieusement que culturellement mais avouons-le, il y a seulement 24 heures, nous n'en savions rien. Autrefois appelée Sébaste, la ville fut capitale de la Petite Arménie. En 1915, la ville comptait d'ailleurs 40 000 Turcs et 30 000 Arméniens. Il y a aujourd'hui environ 700 000 habitants.
Elle se situe à 1200 mètres d'altitude. On a donc ressorti les jeans. Les 25 degrés ambiants changent des fortes chaleurs des semaines précédentes. De plus, la ville semble assez religieuse alors le pantalon me permet de passer un peu plus inaperçue que le short.
Il y a du monde dans les rues en ce samedi matin. La place centrale est bondée de touristes locaux. On tombe tout de suite sous le charme de cette place dominée par la Çifte minareli medrese. D'art Seldjoukide, sa porte en pierre est ornée de motifs végétaux et géométriques somptueux. Elle est surplombée par deux minarets eux aussi assez originaux avec leurs tresses de brique. Le tout date de 1271. L'architecture est vraiment incroyable. La zone fermée de la madrasa a cependant disparu.
La Sifaiye madrasa, qui signifie madrasa de la guérison, lui fait face. Une fois entrés dans son enceinte, l'ambiance y est géniale entre salons de thé, piscine centrale et boutiques à touristes. Ça change de son origine première. À l'époque, on y donnait des cours de sciences médicales et des patients y étaient soignés.
La ville regorge de merveilles architecturales. Un peu plus loin, nous découvrons la Gök medrese, une splendeur restaurée et transformée en musée gratuit. Nous espérons y apprendre un peu plus de choses sur ces madrasas car pour l'instant, nous n'avons trouvé aucune information en anglais. Malheureusement, ici aussi, la langue de Shakespeare nous fait défaut. On a donc dû faire quelques recherches sur Google pour un peu mieux comprendre la vie ici il y a de nombreux siècles.
Sivas est devenu petit à petit un important centre anatolien seldjoukide de science, de commerce, de culture et de civilisation. Pendant la période Seldjoukide, la vie religieuse y était très dynamique. Les madrasas Seldjoukide, qui comptaient parmi les centres d'enseignement supérieur les plus célèbres à l'époque, n'enseignaient pas seulement les sciences religieuses. Des cours de sciences profanes telles que la logique, les mathématiques, l'histoire, la philosophie, la médecine et la chimie étaient également dispensés. Ces madrasas ont été construites dans le cadre de complexes avec des mosquées et d'autres édifices connexes.
Nos déambulations nous amènent ensuite à Tashan, un bazar historique plutôt calme avec des boutiques en bas et de nombreux cafés bien animés à l'étage. Plusieurs joueurs sont installés à chaque table. Ils jouent à des jeux de plateau qui combinent dés et pions, tout en enchaînant les tournées de thés. On imagine bien ici, les commerçants se reposer de leurs longues journées de transport.
À deux pas, nous entrons au hasard dans la Pasa camii, une mosquée à l'intérieur grandiose.
En bref, cette journée à Sivas nous a émerveillés. La ville a su préserver une jolie partie de son histoire. Je retiendrai surtout ces minarets au bleu éclatant et ces portes si joliment travaillées.
Nous ne rentrons cependant pas trop tard, Sivas marque le point de départ d'une grande aventure que nous avons programmée il y a trois semaines. Demain, réveil à 4 heures. Ça va piquer.
Jour 165 🇹🇷 - Récit d'une très longue journée en train
De Sivas à Kars, Turquie entre le 18 et le 19 juillet 2022
Il y a quelques années, nous avons vu Clémence et moi un reportage de l'émission Des trains pas comme les autres qui racontait un voyage à bord du Doğu Ekspresi (Eastern Express). Si tu ne le connais pas, ce train est exceptionnel tant par la longueur de son trajet, 1310 kilomètres, que par les paysages inexplorés d'Anatolie qu'il traverse. Nous sommes tout de suite tombés sous son charme. Quand on a su qu'il était possible de l'emprunter pour se rapprocher de la frontière géorgienne, on n'a pas hésité une seule seconde.
Réserver un billet ne fut pas une mince affaire. Très peu cher, le train est très fréquenté. En même temps, le tarif de 5€ par personne défie toute concurrence. N'ayant pas pu avoir de couchettes, nous avons choisi de faire seulement une partie du trajet en allant de Sivas à Kars.
Tu le verras, la journée qu'on s'apprête à vivre sera synonyme de patience, de beaucoup de patience d'ailleurs mais aussi d'émerveillement et de lâcher prise. Le temps s'étire à l'infini dans le train.
Résumé minute par minute de ce voyage dans le voyage.
Réveil à Sivas
4h15 - Le réveil sonne.
4h40 - L'avantage de dormir dans un hôtel 5 étoiles, c'est qu'on nous attend à la réception. On rend la clé et on se met en route.
5h02 - Arrivée à la gare. On n'est pas seuls, c'est rassurant.
5h12 - Heure de notre train. Aucun train en vue cependant, début de l'attente.
Attente en gare de Sivas
6h12 - Déjà une heure de retard sans aucune explication. Les gens attendent, personne ne râle, personne ne demande d'information. Tout semble normal donc. C'est long quand même, surtout quand on pense à notre lit douillet à seulement quelques centaines de mètres.
6h20 - Faux espoir. Un train arrive sur la voie 1. Il ne semble pas correspondre au nôtre mais je vais quand même demander au guichetier. On ne sait jamais. Il ne me comprend pas, je ne le comprends pas vraiment non plus. Ce dont je suis sûre, c'est que ce n'est pas notre train.
6h50 - Le train repart, la gare redevient calme.
6h55 - Le guichetier sort de son bureau et vient me voir avec un jeune homme. Grâce à Google Traduction, je comprends qu'ils me demandent où je vais. Je réponds Kars, ils sont rassurés. Ils avaient peur que je me sois trompée de train.
7h - Le guichetier annonce enfin quelque chose, le train sera là à 7h30. Si on avait su, on serait rentré dormir et surtout on aurait fait honneur au petit-déjeuner de notre hôtel. Tant pis.
7h26 - Ça bouge enfin, on nous demande d'aller sur la voie 2. Les Turcs s'y précipitent alors que le train n'est toujours pas en approche. De toutes façons on n'est pas à 5 minutes près, ça fait déjà plus de deux heures qu'on attend.
7h38 - Première fois qu'on entend le haut-parleur de la gare. Seul mot compris Ankara, la provenance du train. Va-t-on finir par l'apercevoir ? En tout cas, on est tous prêts.
7h42 - On l'entend et on l'aperçoit ! Je répète. On l'aperçoit ! Avec 2h30 de retard, il entre enfin en gare.
7h46 - On est à bord. On s'installe tant bien que mal à nos deux sièges. Et non, les couchettes ne sont pas pour nous. Va-t-on regretter notre choix ? On ne démarre pas encore. On assiste à un va et vient de bagages énormes, de sacs poubelle tout aussi énormes. On attend.
Sur les rails
7h55 - Notre train part enfin. Les 16 heures de voyage annoncées commencent seulement… C'est parti !
08h02 - On s'arrête déjà. Pas d'explication.
08h03 - Notre ticket est vérifié, tout est en ordre.
08h04 - Le train repart. Notre voisin de droite en perd son kofte. Et oui, nos deux voisins (un papy et sa fille) passent à table. Pain, kofte, piment. À 8 heures du matin, l'odeur est assez particulière. Le papy a du mal à faire son sandwich et un kofte (boulette de viande) atterrit au pied d'Adrien. Miam.
9h12 - Les paysages sont beaux. Vraiment beaux. On va si lentement qu'on a le temps de les regarder, de les décortiquer, de les analyser et bien sûr de les photographier.
10h et quelques - Nous atteignons les 10 000 kilomètres ! Nous sommes aux alentours de Kangal.
Sieste
12h15 - Pause café pour Adrien. Direction le wagon bar.
12h25 - L'Euphrate. Nous longeons ce magnifique fleuve dont nous avons tant entendu parler durant nos cours d'histoire. Tout le wagon s'émerveille. Photos, vidéos, il fait l'objet de toutes les convoitises. On est aux premières loges, on savoure.
12h30 - Tous nos voisins sont devenus potes. Des passagers essayent de nous parler depuis le début de la journée. Mais dès qu'ils comprennent qu'on ne parle pas turc, ils se bloquent et ne nous adressent plus un mot. Dommage.
15h32 - Pause à Erzincan
18h24 - Le GPS montre qu'on a tout juste dépassé la moitié du trajet annoncé. Le retard s'accumule.
18h30 - On s'arrête énormément et dans des gares plus improbables les unes que les autres. Depuis quelques heures, une maman et son petit garçon sont tous les deux installés sur le même siège derrière moi. Un siège pour deux, c'en est trop pour le petit. Il ne tient déjà plus en place et commence un marathon incessant d'aller-retours dans tout le wagon.
Tentative de sieste
20h34 - On est arrêtés en pleine voie, quelques kilomètres avant la ville d'Erzurum. Adrien est sorti dehors avec d'autres passagers curieux. Quelqu'un demande quand on va repartir ? Réponse : Inshallah. Sourire général.
20h44 - On repart au ralenti, on découvre une allée ininterrompue de barbecues et de tables de pique-nique. Elles sont toutes occupées par des familles ou des amis.
21h03 - À Erzurum, c'est la première fois que le train se vide mais ne se remplit pas totalement. Les gens changent de place et commencent à allonger leurs jambes. Adrien fait de même, ça fait du bien.
Sieste tardive (le temps n'a plus d'importance)
23h34 - Encore en route, ça devient long, très long.
Arrivée à Kars
1h44 - Kars. Terminus tout le monde descend. On est assis depuis quasiment 24 heures, nos jambes ont du mal à redémarrer.
2h15 - Dodo. Notre hôte nous a laissé les clefs sur le compteur de gaz. Fin d'une sacrée journée. Longue et avec un ratio kilomètre par heure pas folichon, mais déjà de magnifiques souvenirs. Plus de 650 kilomètres au compteur.
C'est à l'heure actuelle notre plus long trajet du voyage. Le restera-t-il ?
Jours 166 à 170 🇹🇷 - Kars, la si éloignée
Kars, Turquie le 19 juillet 2022
Réveil plutôt très tardif aujourd'hui. Les cris des enfants provenant du jardin d'enfants juste sous nos fenêtres de chambre nous aident à sortir du lit. Nous découvrons alors, à la lumière du jour, le grand appartement dans lequel nous nous sommes installés à la va vite hier soir.
Nous avons réservé une chambre chez Adem (9€ la nuit pour deux sur Airbnb). Finalement, il nous a prévenu quelques jours avant notre arrivée qu'il serait à Istanbul lors de notre passage. Nous sommes déçus de ne pas le rencontrer et en même temps heureux qu'il n'annule pas la réservation. Nous profitons donc de son grand appartement, seuls. Ça fait quasiment deux mois qu'on ne s'est pas retrouvés juste tous les deux ! Ça fait bizarre, mais ça fait du bien aussi. Je l'avoue.
Nous sortons visiter Kars et trouver de quoi déjeuner. Un petit commerce de pides nous attire. Elles sont bonnes, différentes de ce qu'on a déjà pu manger dans le reste de la Turquie et ne coûtent qu'1,20€ à deux. Le serveur et tous les employés sont très gentils, nous reviendrons très certainement. En partant, ils nous demandent d'où nous venons, avant de nous saluer d'un joyeux « auf Wiedersehen ». C'est bien connu, le français et l'allemand se ressemblent.
La ville de Kars, située en Anatolie Orientale et aux portes du Caucase, est elle aussi différente du reste du pays. Au carrefour de la Géorgie, de l'Arménie, de l'Iran et de la Turquie, elle a suscité de nombreuses convoitises au cours des siècles en raison de son emplacement stratégique sur la route de la soie. S'y sont ainsi succédés des satrapes perses, des rois arméniens, des sultans arabes, des empereurs byzantins, des pashas turcs seldjoukides et ottomans. La ville a même été occupée un temps par les Russes au XIXème siècle.
Les relations avec l'Arménie, son plus proche voisin, restent très tendues. À l'heure où nous écrivons ces lignes, les frontières terrestres entre les deux pays sont fermées depuis de nombreuses années.
En nous baladant dans le centre-ville, nous ne manquons pas de remarquer ce melting pot architectural et culturel, entre immeubles russes des années 1900, maisons à un étage et mosquées musulmanes. Au pied de la forteresse sombre se trouvent plusieurs hammams ainsi qu'un très beau pont de pierre.
Un bâtiment nous marque particulièrement. Tantôt cathédrale, tantôt église, tantôt mosquée, il résume à lui seul l'histoire de la ville.
Ancienne église apostolique arménienne datant du Xème siècle, elle fut transformée une première fois en mosquée en 1579 par les Turcs. Au début du XXème siècle, elle devient une cathédrale orthodoxe russe, puis arménienne. En 1993, rebelote, elle est à nouveau convertie en mosquée. Elle s'appelle désormais Kümbet Camii, ce qui signifie « mosquée en forme de dôme ». Sa particularité est de ne pas avoir de minaret.
En sortant, nous ne manquons pas de nous rendre au sommet de la forteresse. La vue depuis les remparts renforce l'impression de bout du monde qui nous a saisi lors de notre arrivée en train. Face à nous, rien. Les plaines nues et rocailleuses du Haut Plateau Arménien qui nous font face s'étendent à l'infini. Seuls quelques dômes volcaniques émergent sur l'horizon et viennent briser la monotonie du paysage.
Ces prochains jours s'annoncent calmes et reposants.
Kars, Turquie le 20 juillet 2022
Journée boulot aujourd'hui. Mine de rien depuis qu'on est en Turquie, on a accumulé pas mal de retard dans l'écriture de ce journal de bord, dans le traitement de nos photos et leur publication. Même notre petit carnet papier est à la traîne.
Ça fait déjà plus de cinq mois qu'on narre avec plaisir nos aventures ici, sur Facebook et sur Instagram, mais quand le retard s'accumule ce n'est pas évident à gérer. Les anecdotes sont plus loin dans notre mémoire et nos recherches historiques sont plus dures à mener à plusieurs semaines d'intervalle. Pas le choix, nous passons la journée collés à l'ordinateur et au téléphone pour rattraper tout ça.
Nous demandons également à notre hôte s'il est possible de rester quelques jours de plus dans l'appartement. Nous ne savons pas du tout où aller après Kars, il va aussi falloir qu'on se penche sur la question. Alors quand il nous dit que l'appartement est disponible deux nuits supplémentaires, on saute sur l'occasion.
En fin de journée, nous repartons à la découverte de Kars.
À la nuit tombée, beaucoup d'habitants sont de sortie. L'ambiance est chaleureuse avec de grandes terrasses dressées tantôt en mode restaurant, tantôt en mode café.
Après avoir bien vadrouillé, nous portons notre dévolu sur une terrasse déjà bien remplie. Nous commandons deux assiettes : un Adana kebab pour moi, une soupe suivie d'un Tavuk döner (poulet) pour Adrien.
La soirée est très agréable et sujette à de nouvelles réflexions quant à la suite du voyage.
Ani et Kars, Turquie le 21 juillet 2022
Si nous sommes venus à Kars, c'est aussi pour visiter les vestiges d'Ani, une ville mythique sur la route de la soie et des épices. 40 kilomètres seulement nous séparent de la frontière arménienne près de laquelle elle se situe. Impossible d'y aller à pied. Adem nous a indiqué qu'un bus au départ de Kars partait tous les matins à 10h. Pour le trouver, nous nous rendons à l'angle du café Cihangirzade Konağı.
Le petit bus est presque plein lorsque nous prenons le départ. La majorité des passagers sont des touristes comme nous, mais pas que. Certains locaux l'empruntent pour rejoindre des villages isolés. Le bus roule assez vite sur cette route rectiligne. Il faut dire qu'il n'y a pas vraiment de relief dans ces steppes où presque rien ne pousse. Les paysans sont néanmoins en pleine activité, le mois de juillet est propice à la récolte de fourrages pour l'hiver. Dans ces régions reculées, tout est fait manuellement, de la coupe à la mise en botte.
Nous arrivons sur place au bout d'environ une heure. Les vestiges des remparts se dressent au loin et contrastent avec le petit hameau à leur pied. Tous les murets ont été érigées avec les pierres volcaniques de l'ancienne cité. Le savoir-faire des anciens profite aux habitants d'aujourd'hui.
Nos tickets d'entrée en poche, nous franchissons d'abord les portes monumentales qui ont été reconstruites par les archéologues à la manière de la bibliothèque de Celsus à Ephèse. L'immensité du site se dévoile alors sous nos yeux. L'effet est d'autant plus saisissant que seules quelques églises se détachent sur l'horizon. Tout le reste s'est écroulé avec le temps.
Il fut une époque où Ani était une ville florissante. Son essor a commencé lorsque les caravanes de la route de la soie ont changé d'itinéraire afin d'emprunter les hauts plateaux arméniens. Les commerçants subissaient de trop nombreux pillages sur la route initiale passant à travers les plaines et les déserts de Syrie.
Ani devint alors une étape incontournable vers la mer Méditerranée et la mer Noire. Son pont était l'unique moyen de traverser l'Akhourian, une longue rivière qui coupe toute la région en deux. Le droit de passage était élevé, mais ne pas l'emprunter condamnait les marchands à un très long détour.
La ville regorgeait de vastes complexes commerciaux appelés khanapar (palais, caravansérail), qui contenaient des entrepôts, des boutiques et des chambres. Parfait pour faire affaire ou se reposer. Ani était également un centre religieux important. On la surnommait « la ville aux 1001 églises ».
Aux alentours de l'an 1000, Ani, forte de ses 100 000 habitants, rivalisait avec les plus grandes villes d'Orient comme Constantinople, Bagdad ou Le Caire. Les invasions successives de la région par les Byzantins, les Turcs et les Mongols eurent raison de la cité.
Le site est si vaste qu'il nous donne l'impression d'être seuls. Alors que nous marchons dans des allées, nous remarquons que plusieurs archéologues sont en plein travail avec leurs brouettes et leurs pelles. Ils nous expliquent qu'ils sont en train de mettre au jour des bains turcs de l'époque seldjoukide. Un métier passionnant, un peu rude lorsqu'il fait 30 degrés comme aujourd'hui.
Notre marche nous amène petit à petit au canyon formé par l'Akhourian. Face à nous, l'Arménie. Se moquant des barbelés, des vaches broutent au bord de l'eau. Si le courant n'était pas si fort, elles seraient probablement les seules autorisées à passer de l'autre côté.
Nous continuons notre visite entre églises, mosquées et d'autres fouilles archéologiques. Le temps file vite, il est déjà l'heure de rentrer. Nous nous souviendrons longtemps de ces vestiges entre Arménie et Turquie.
De retour à la maison, nous nous installons tranquillement dans la cuisine pour manger. Soudain, un bruit nous alerte dans la logia. Je me lève et jette un oeil. Rien. Quelques minutes plus tard, le bruit recommence. J'ouvre la porte et tombe nez à bec avec un oiseau apeuré.
Que faire ? On essaye d'abord de lui donner quelques miettes de pain ainsi qu'un peu d'eau. Il a trop peur pour les manger. Au bout de quelques minutes, je prends mon courage à deux mains et, armé d'une serviette, je le saisis pour lui montrer le chemin de la fenêtre. Il ne lui faut pas longtemps pour déployer ses ailes. Il était simplement désorienté.
Sauvetage réussi !
Kars, Turquie le 22 juillet 2022
Cela fait deux jours que Clémence est un peu patraque. Le repos tant attendu à Kars n'a pas encore porté ses fruits. Elle préfère rester à l'appartement afin d'avancer sur nos projets d'écriture, plutôt que de m'accompagner dans une quête bien particulière.
Nous l'avons vu la veille, les alentours de Kars ne sont pas très cultivés. Un peu comme en Mongolie, la tradition pastorale est importante sur ces grandes plaines en altitude. Kars se situe à presque 1700 mètres au-dessus du niveau de la mer. Or, qui dit pâturages, dit vaches et brebis, sans oublier le lait qu'elles produisent. En bon français, nous pensons bien entendu qu'il est possible d'en faire du fromage et nous n'avons pas tort.
Le fromage de Kars est très réputé dans toute la Turquie. C'est le cas principalement du gravyeri, surnommé « le gruyère de Kars ». Et pour cause, il aurait été confectionné pour la première fois par un Suisse bien avisé. Pour en trouver, rien de plus simple, il y a des boutiques partout en ville.
Arrivé dans une boutique bien référencée, j'essaye tant bien que mal de me faire comprendre. Ne sachant pas à quoi m'attendre, je souhaite goûter avant d'en acheter. C'est un délice. Honnêtement cela faisait longtemps que je n'avais pas mangé de fromage aussi bon. Dommage que Clémence ne soit pas là, elle aurait adoré. Je décide de lui en ramener deux différents plus ou moins affinés afin qu'elle en profite elle aussi. Le prix est incroyablement bas, moins de 10€ le kilogramme. Je capote.
Plutôt que de rentrer directement, je préfère faire le tour du centre-ville en longeant la rivière qui le traverse. Ce petit chemin m'amène le long d'anciens bâtiments militaires abandonnés qui me font beaucoup penser aux ouvrages de Vauban. La route passe enfin en haut d'une colline voisine de la forteresse. Je profite d'une dernière vue sur Kars et sa plaine très étendue. 19h approche, le soleil ne va pas tarder à se coucher. Je me décide donc à revenir à l'appartement, mon précieux chargement toujours dans le dos.
Jours 170 à 172 🇹🇷 - Hopa, au bord de la mer Noire
De Kars à Hopa, Turquie le 23 juillet 2022
Ça y est, on a réfléchi à notre itinéraire. On est prêts à reprendre la route même si mon estomac m'annonce que la journée va être difficile tant il n'est pas en forme.
Au revoir Kars. On remet la clé de l'appartement d'Adem sur le compteur de gaz à l'entrée, on laisse le montant des deux nuitées supplémentaires sous la télé du salon et on se rend à la gare routière de la ville. Un seul bus fait la liaison Kars-Hopa chaque jour et il est plein. Nous avons eu raison d'acheter nos billets la veille.
La route entre Kars et Hopa est un vrai calvaire. Comme d'habitude, nous regardons toujours un peu à l'avance le chemin prévu pour la journée. Et comme d'habitude en Turquie, le bus n'emprunte jamais l'itinéraire le plus court. Plutôt que de passer par la belle route rectiligne, il s'engage dès la sortie de Kars sur des routes de montagne aussi improbables que belles. Dès les premiers kilomètres, nous sentons que la journée sera longue.
Ces derniers jours, nous ne faisons qu'enchaîner les longues distances. C'en est un peu trop à notre goût, nous allons devoir y remédier. En attendant, les heures passent et notre chauffeur de formule 1 adore freiner quand ça ne sert à rien, slalomer entre les véhicules, doubler quand il n'a aucune visibilité. Le trajet n'est pas de tout repos.
Soudain, le bus s'arrête aux abords d'un petit village. Check point ! Des gendarmes montent et récupèrent les papiers d'identité de tout le monde. Sauf les nôtres. Ils se contentent de les regarder rapidement et nous les rendent immédiatement.
Nous sortons tous du bus, bien contents de cette pause inattendue. Nous profitons des alentours le temps que les gendarmes vérifient les papiers d'identité des autres passagers. Certains vont boire à la rivière, d'autres se prennent en photo. Ce village me plaît beaucoup.
Nous repartons après une quinzaine de minutes d'attente. Petit à petit, les immenses étendues d'Anatolie deviennent des vallées couverts de forêts d'épineux. Et puis, la route rétrécit, les arbres disparaissent et les montagnes s'élèvent. La roche est à nue tout autour de nous. Nous longeons une rivière, un barrage, une autre rivière et enfin un autre barrage. Nous roulons désormais au ralenti. Chaque passage de camion dans le sens inverse n'est vraiment pas rassurant et il y a beaucoup de camions.
Finalement, cette route en lacets si chaotique laisse place à une belle route droite marquée par des dizaines de tunnels à la suite. Comment est-ce possible ? On se croirait tout droit arrivés en Norvège. Pour notre plus grand bonheur, nous avalons beaucoup plus rapidement les derniers kilomètres.
Le bus nous dépose finalement à Hopa, au bord de la mer Noire. Les paysages sont encore différents. La végétation est luxuriante et le climat limite tropical. Rien à voir avec le plateau de Kars quitté le matin même. Je rêve ou nous sommes arrivés sur l'île de la Réunion ?
Hopa n'est pas notre destination finale. Nous devons nous rendre à Kemalpasha, un village côtier à 15 kilomètres de là. À peine descendus du bus, des taxis nous abordent, intéressés. Autant les Turcs sont d'une gentillesse légendaire, autant les chauffeurs de taxi, on se méfie. Encore une fois, ils nous disent qu'il n'y a pas de dolmus et qu'on doit prendre un taxi. Ils nous annoncent un prix. Exorbitant. Même pour quatre personnes.
Tant pis. Nous quittons la gare routière en marchant, on verra bien. À peine 500 mètres plus loin, nous tombons sur une sorte de petite gare où quelques dolmus sont stationnés sur le bas côté. En moins de cinq minutes, nous montons dans celui qui mène à Kemalpasha. Nous arrivons une vingtaine de minutes plus tard à destination pour un prix dérisoire. Nous avons bien fait de ne pas faire confiance aux chauffeurs de taxi.
Cette fois-ci, pas d'Airbnb, pas de Booking, pas de réservation. Pour la première fois en cinq mois de voyage, nous sommes attendus par Ercan, un Couchsurfer. La plateforme Couchsurfing est un réseau mondial d'hébergement entre voyageurs à titre gratuit, basé sur les échanges et la confiance.
Adrien ne dispose que d'un point GPS et d'un prénom. Nous nous rendons à l'adresse indiquée. Zut, il s'agit d'une maison à plusieurs étages. Sans internet, on ne peut pas prévenir Ercan de notre arrivée. Une dame sort sur son balcon au premier étage. On lui dit qu'on cherche Ercan, elle répond qu'elle ne le connaît pas et qu'on doit partir car ce n'est pas ici. On lui demande si elle peut l'appeler pour nous, mais elle ne semble pas comprendre. Elle hèle cependant des gens dans la rue pour nous aider.
Nous ressortons et un monsieur, puis deux, puis trois viennent à nous. En quelques secondes, nous nous retrouvons dans leur quincaillerie. L'un nous propose un thé, l'autre appelle Ercan, le troisième nous donne accès au wifi.
C'est comme ça que Murat, le meilleur ami d'Ercan vient nous récupérer en voiture avec du Rammstein à fond dans l'habitacle. Il nous amène sur une longue plage de galets. Nos premiers instants au bord de la mer Noire !
La fin de journée est belle. Ercan est là ainsi que toute sa bande de potes posés sur des chaises de camping. Ils ont la particularité d'être tous professeurs et donc en vacances en cette fin juillet. Nous profitons des dernières lueurs du soleil, avant de de rentrer tous ensemble chez Murat.
L'adresse GPS était la bonne, on se retrouve à nouveau là où nous étions arrivés en descendant du bus. La dame du premier étage s'avère être la maman de Murat, il vit au rez-de-chaussée et son frère au deuxième étage. Elle connaît finalement bien Ercan, mais n'avait pas fait le rapprochement avec deux français en sac à dos. Tout fait sens.
Nous passons la soirée à écouter des musiques du monde, à danser, à manger des pides délicieuses et à boire nos premières bières depuis longtemps.
Hopa, Turquie le 24 juillet 2022
Cette journée se place sous le signe du laisser aller. Tout se passe sans que nous ne soyons en mesure de décider quoi que ce soit. L'imprévu a parfois du bon.
Cela commence au petit matin. Murat et sa copine Aisha décident de préparer un petit-déjeuner pour tout le monde. Dernier jour dans le pays et dernier kahvalti. Mais comme bien souvent en Turquie, l'invité est roi et ne il doit surtout pas mettre la main à la pâte. On se laisse porter et on les remercie.
Fromage, olives, tomates et concombres, confiture et autres mets délicieux sont au menu. Il y a de quoi faire. Le repas est accompagné de thé local. En effet, la région où nous sommes bénéficie d'un climat humide favorable aux plantations de thé. Nous ne pensions pas en voir si tôt dans ce voyage. Je comprends mieux la passion des Turcs pour le thé et son prix particulièrement abordable.
Le repas terminé, Ercan nous fait signe qu'il est l'heure de partir. Il nous indique de prendre nos maillots de bain, au cas où. Seule certitude, nous reviendrons dormir ici ce soir.
Nous arrivons alors à Hopa. Petit passage chez ses amis rencontrés la veille, qui accueillent eux-mêmes des amis vacanciers, et nous nous retrouvons à neuf dans le meilleur kebab de la ville. Il ne faut pas prendre ce mot à la légère, nous y dégustons un succulent çağ kebap, composé d'agneau mariné et cuit au feu de bois à l'horizontale. Le tout est servi en brochettes à l'unité, parfait pour doser toutes les faims.
Ercan nous explique qu'ils ont ouvert dans le village voisin une sorte d'école privée où ils dispensent des leçons particulières, en plus de leur travail d'enseignants au lycée. Selon eux, les cours normaux ne préparent pas assez les élèves à l'enseignement supérieur. Après déjeuner, il nous fait découvrir les lieux bien décorés et avec vue sur la mer au loin. J'adore ce concept et ce genre de belles initiatives.
Nous n'en restons pas là. Toute la bande se retrouve dans le bar d'à côté. Le serveur nous sert des cocktails à la Tequila sans que nous n'ayons rien commandé. Oui il n'est que 15 heures. En France, nous serions restés là à enchaîner deux ou trois verres avant d'aller à la plage. Pas en Turquie. Nous avons à peine le temps de boire une gorgée que nous remontons déjà à bord des voitures en direction des montagnes.
Le climat change dès que nous quittons la côte. Une brume légère remplace le ciel bleu et quelques gouttes de pluie nous tombent dessus. Il fait presque froid. Nous descendons de voiture après une heure et demie de route. L'objectif est de rejoindre une cascade à pied. Les environs nous ramènent quelque part entre la Norvège et les Alpes. C'est fou de se dire que les paysages de Turquie sont aussi variés.
Nous marchons une bonne demi-heure jusqu'à arriver à un pont de singe. La cascade est juste devant nous. Nos amis turcs nous surprennent toujours plus et sortent des verres de tequila. Les filles ont froid et moi aussi je l'avoue. Nous repartons après nous être réchauffés autour d'un feu et avoir grignoté des tonnes de graines de tournesol. Le soleil nous gratifie de magnifiques lumières sur le retour.
Nous faisons une dernière pause pide chez les amis d'Ercan, avant de retourner chez Murat. Cette journée et cet accueil concluent bien notre longue étape turque.
Hopa, Turquie le 25 juillet 2022
Après un dernier réveil sous le soleil turc, nous enfilons nos sacs et montons à bord de la voiture de Murat. Dans un dernier geste de sympathie, il décide de nous déposer à la frontière. Nous promettons de repasser le voir un jour et passons les portes de la douane. Encore une fois, merci pour tout !
Au revoir la Turquie ! Avant de mettre les pieds à Istanbul, nous ne savions pas trop à quoi nous attendre. Deux sons de cloches résonnaient. D'un côté les médias occidentaux qui ne mentionnent que les problèmes politiques et économiques du pays. De l'autre, les témoignages des voyageurs qui ne tarissent pas d'éloges sur la gentillesse des Turcs et la beauté de leur culture.
Désormais nous pouvons le dire, les deux sont vrais. Sauf que lorsqu'on voyage, la politique n'est qu'accessoire. Nous préférons retenir toutes ces belles rencontres par dizaines, la facilité de voyager d'un bout à l'autre du pays, la diversité incroyable de ses paysages et la générosité de ses habitants.
Nous reviendrons, bien entendu. Teşekkür Ederim.
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Merci d'avoir lu jusqu'au bout ❤️
D'Hopa en Turquie à Batoumi en Géorgie, il n'y a qu'un pas. Et pourtant, nos premiers jours dans ce nouveau pays sont synonymes de beaucoup de changements. Notre aventure continue en Géorgie.
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