À la découverte du cirque de Mafate (voyage sur l’île de la Réunion)
Il y a deux ans, Clémence et moi sommes partis avec quatre de nos amis à la découverte des cirques cachés de la Réunion... et de leurs histoires.
Que ce soient les centaines de photos vues sur les réseaux sociaux ou les nombreux articles lus dans les guides de voyage, rien ne m’avait préparé à vivre un tel séjour.
Entre légendes, nature sauvage et moments de franche rigolade, je vous livre ici le récit de cette aventure qui, malgré le temps qui passe, reste intacte dans ma mémoire.
Chapitre 1 : Vers le centre de l’île
Du pied gauche j’écrase la pédale d’embrayage, passe la première et coupe le contact de notre vieille Hyundai. Je serre fermement le frein à main et ouvre la portière. Aline, Clémence et Marthe sont déjà dehors à récupérer des sacs de courses dans le coffre qui déborde d’affaires. Nous devons acheter des provisions avant d’aller nous perdre dans les cirques sauvages de la Réunion.
Après avoir découvert le matin même le Piton de la Fournaise et ses environnements lunaires, ça nous fait tout drôle de retrouver la civilisation moderne et ses énormes centres commerciaux.
À l'approche du magasin, je lève les yeux et aperçois un énorme panneau lumineux sur lequel le nom de l’enseigne est écrit en toutes lettres. On ne peut pas le louper celui-là. Porté par cinq piliers de béton, il est plus visible qu’un phare en pleine tempête.
Pain, pâté de campagne, fruits, cacahuètes pour l’apéro, nous achetons rapidement ce dont nous avons besoin et rejoignons la voiture. Nous quittons Saint-André vers 15h via la route nationale 2.
Depuis la quatre voies, on aperçoit, au loin sur la droite, une vallée étroite qui fend les montagnes et s’enfonce au coeur de l’île. C’est l’entrée du cirque de Salazie, notre destination. On bifurque alors pour s'engager sur une route de campagne plus modeste.
Le changement est brutal. Une fois les portes du cirque passées, on se retrouve dans un tout autre monde. Oubliés les nombreux véhicules sur la route. Oubliée la bétonisation de la ville. Place maintenant à la nature, la vraie et à l’aventure entre potes. On met de la bonne musique, on chante, on rigole de tout et de rien. C’est parti !
Chapitre 2 : Une aventure entre potes
Surplombėe de part et d’autre par des falaises imposantes, la route serpente maintenant le long de la rivière du Mât. La végétation est luxuriante. Arbres, arbustes, buissons, hautes herbes, je ne crois pas avoir déjà vu autant de nuances de vert au même endroit. Des cascades coulent le long des falaises tout autour de nous.
Soudain, sur le bord de la route, un panneau nous alerte : « Attention, cascade du Pissenlair ». Chacun se dépêche de fermer sa fenêtre et, à peine quelques secondes plus tard, une trombe d’eau s'abat sur la voiture. S’ensuit un gros fou rire. Cette cascade porte bien son nom !
Peu après, le restaurant de la Cascade Blanche apparaît de l'autre côté d'un pont. On décide de faire une pause goûter en attendant Rosenn et Antoine. Ce sont les locaux du séjour puisqu’ils habitent depuis quelques mois à Saint- Pierre dans le sud de l’île. L’avantage d’avoir des potes sur place, c’est qu’ils nous ont concocté un séjour du tonnerre. Enfin… c’est ce qu’ils nous ont assuré...
Ils nous rejoignent une petite demi-heure plus tard, alors que nous finissons notre « gâteau patate », un dessert local à base de patate douce. Le sextuor ainsi formé, nous pouvons reprendre notre route, direction l’Escale Rando, notre gîte du soir.
Chapitre 3 : À la découverte des cirques
Toujours à bord de notre vieille voiture, mais désormais suivis par Rosenn et Antoine, nous nous enfonçons au plus profond du cirque de Salazie. Les falaises qui en gardent l’entrée s’écartent peu à peu pour laisser place à de plus grands espaces. Sur notre gauche, on aperçoit au loin la cascade du voile de la mariée qui coule le long de la falaise divisée en une multitude de filets d’eau. Aline sort alors le Guide du Routard et nous conte sa légende macabre :
« En ouvrant les portes de l’église, le père de la mariée les surprit devant l’autel. [...] Effrayés, les deux époux s’enfuirent dans la montagne pour échapper à ce père fou de rage. Dans sa course folle et aveuglée par son voile, la pauvre jeune femme glissa et tomba dans un profond précipice. De sa chute ne resta que le voile, accroché à une branche. En l’apercevant, il comprit qu’il ne verrait plus jamais sa fille. Dévasté par le chagrin, il pleura toutes les larmes de son corps sur le voile. Et depuis ce jour tragique, une cascade de larmes ruisselle à cet endroit sur le voile de la mariée. »
Bien que l’histoire soit triste, cela n’entame pas notre bonne humeur et nous continuons la route plein d’entrain. Nous roulons quelques kilomètres avant de nous apercevoir que Rosenn et Antoine ne nous suivent plus. On se gare rapidement sur le bas-côté. Où sont-ils bien passés ? Un coup de téléphone et quelques minutes d’attente plus tard, les revoilà. Ils s’étaient juste trompés de route. Gauche, droite et virages à l’aveugle, ce n’est pas toujours facile de trouver son chemin.
Nous approchons du fond de la vallée et la route s’élève. La montée est raide et sinueuse. Chaque virage met un peu plus à l’épreuve les suspensions de la voiture qui nous le fait savoir en émettant un fort bruit de frottement. Pas très rassurant tout ça.
Nous arrivons finalement vers dix-huit heures dans le village de Grand Ilet, sur les hauteurs de Salazie, avec une impression de bout du monde. Le village n’est pas si grand, mais nous passons quand même une bonne dizaine de minutes à chercher le chemin caillouteux qui mène au gîte. Une fois trouvé, nous nous y engageons, faisant grincer encore un peu plus notre vieille voiture.
Cindy, notre hôte, nous attend accompagnée de toute une ribambelle d’enfants qui courent dans tous les sens. Ils ont probablement été alertés par le bruit du moteur. Elle nous fait signe de nous garer l’un derrière l’autre et nous lance un chaleureux : « Bienvenue à Grand Îlet, j’espère que vous avez fait bonne route. ».
On descend de la voiture et je prends le temps de regarder autour de moi. Derrière Cindy se trouve une grande case créole typique, faite de planches horizontales assemblées les unes avec les autres et peintes en blanc.
Entourée d’une végétation verdoyante, la maison a vraiment beaucoup de charme. Elle est flanquée sur sa gauche d’une belle terrasse sur laquelle une grande table est dressée. Elle est couverte par une avancée de toit et un des enfants y est attablé. Au pied de la terrasse, dans le jardin, se trouve une sorte de petite maisonnette que je devine être une cuisine d’été.
Je suis coupé dans mes contemplations par de faibles miaulements qui émanent d’un petit abri fait de tôles autour duquel tournent les enfants. Je remarque en souriant que Marthe porte déjà un petit chaton roux et blanc dans les bras. Rosenn n’est pas en reste puisqu’elle s’est accroupie auprès d’un second petit chat noir et blanc. Elles n’ont pas perdu de temps.
Nous déchargeons nos bagages et profitons de l’heure qui suit pour vaquer à nos occupations : jeux avec les enfants de Cindy, installation dans nos chambres respectives et discussions avec les autres hôtes. Et oui, nous ne sommes pas seuls ce soir puisque nous partageons la soirée avec deux couples, l’un français et l’autre allemand.
La soirée se termine par la dégustation d'un très bon repas traditionnel, ponctué d’un bon rhum arrangé.
Chapitre 4 : Le col des Boeufs
Ici, on se lève avec le soleil, n’en déplaise à mon rythme de lève-tard. Nous nous réveillons donc à sept heures pour profiter du bon petit déjeuner qui nous attend. J’avoue qu’avec le dîner copieux de la veille, mon estomac ne crie pas famine. Je mange malgré tout avec plaisir tout ce que Cindy nous propose ; il faut bien prendre des forces avant la grosse journée de randonnée qui nous attend.
On remballe nos dernières affaires avant de quitter l’Escale Rando vers huit heures trente. Direction le col des Boeufs. C’est reparti pour les virages.
Non loin du sommet, on constate que de nombreuses voitures sont stationnées un peu partout au bord de la route. Certaines ont quasiment les deux roues dans le vide. D’autres débordent franchement sur la route. Plus on monte et plus on croise de voitures qui font demi-tour. Est-ce qu’on va vraiment devoir se garer ici ?
Assez perplexe, on décide d’avancer encore un peu. Au bout de la route, tout s’explique. Une sorte de parking payant a en fait été mis en place tout en haut et certains préfèrent tenter le bas-côté plutôt que de payer. Puisqu’on est quatre dans le véhicule, le prix n’est pas trop élevé. On préfère donc ne pas se prendre la tête et opter pour le parking « officiel ».
C’est le moment de nous équiper. Chaussures lacées. Sac à dos attachés. On est fin prêts. Neuf heures sonnent quand nous nous élançons sur le chemin caillouteux qui débute là où la route goudronnée se termine. L’aventure peut alors vraiment commencer. Première étape, le col des Boeufs que l’on devine déjà un peu plus haut.
Chapitre 5 : Les surprises de Mafate
Le col s’avère être un long passage étroit qui fend la montagne en deux. Il s’agit d’un des seuls accès au cirque de Mafate. Bien à l’abri derrière ses hautes montagnes qui culminent à presque trois mille mètres d’altitude, il sait se faire discret. J’en ai tellement entendu parler que je suis curieux d’enfin le voir de mes propres yeux.
Nous nous retrouvons quelques minutes plus tard sur une sorte de terrasse panoramique. Elle surplombe une immense vallée baignée par le soleil qui invite à l’aventure. Nous y sommes : le cirque de Mafate.
Une forêt dense et luxuriante en tapisse le fond. Elle s’étend sur toute la largeur du cirque jusqu’au pied de l’immense paroi qui l’entoure. Cette dernière, faite de roches déchiquetées mesure plusieurs centaines de mètres de haut et se dresse véritablement à pic comme pour préserver les lieux du monde extérieur.
Je me sens tout petit face à une telle immensité et je comprends mieux pourquoi ce site est si difficile d’accès. Le spectacle est d’autant plus beau qu’il est sublimé par une douce lumière matinale. J’ai vraiment l’impression d’être entré dans la vallée des merveilles.
Après quelques minutes de contemplation, on s’engage sur un petit sentier en lacets qui plonge sur notre gauche en direction du village de La Nouvelle. Les premiers mètres sont véritablement à flanc de montagne et offrent quelques vues imprenables sur la cime des arbres.
Cependant, nous pénétrons très vite dans la forêt. Celle-ci est assez humide et fendue de quelques cours d’eau. Nous en traversons plusieurs, bien aidés par des rondins de bois judicieusement disposés sur toute la longueur du chemin. Sans cela, nous serions couverts de boue ou trempés. Il faut dire que les habitants du cirque n’ont que ces pistes pour se déplacer puisqu’il n’existe ni route goudronnée ni chemin cyclable dans tout Mafate. Ils ont donc tout intérêt à les entretenir parfaitement. À nous de les respecter également.
En ce début de matinée, on croise pas mal de personnes qui remontent en direction du col : des randonneurs comme nous, des touristes le souffle court qui sont accompagnés par des guides portant leurs sacs, mais aussi des locaux. Ils se rendent en ville pour aller faire quelques achats, d’autres vont d’îlet en îlet, le nom donné aux différents petits hameaux du cirque. Mais celui qui m’a le plus marqué reste le facteur / livreur.
Alors que nous suivons tranquillement le chemin, j’entends derrière moi des bruits de pas lourds mais rapides. Curieux, je me retourne et je vois une personne courbée marcher d’un pas déterminé vers moi. Ce qui me frappe en premier lieu, c’est l’énorme charge qu’il porte sur le dos. En y regardant de plus près, je comprends qu’il s’agit d’une immense télévision. Et oui, un véritable écran plat dernière génération qui doit bien peser vingt kilogrammes.
Quel curieux contraste de voir un appareil aussi moderne être porté à dos d’homme, en plein milieu d’une forêt primaire. On se regarde tous en souriant. Mafate nous réserve décidément bien des surprises.
Chapitre 6 : Casse-croûte et coups de soleil
Deux bonnes heures de descente plus tard, nous sortons de la forêt pour arriver sur une sorte de grand plateau. Bienvenue à La Nouvelle. L'îlet est composé de plusieurs maisons colorées dispersées çà et là. Elles sont toutes connectées par de nombreux sentiers qui se recoupent et s’entremêlent. Lequel suivre ?
Sur notre gauche, des tables et des parasols jaunes vifs attirent notre regard. Tant qu’à chercher un endroit où manger, autant y boire également une Dodo, la bière locale. Nous voilà donc attablés une canette à la main en moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire. Pain, pâté de campagne, cacahuètes, on sort de notre sac toutes les provisions achetées la veille.
La pause est bienvenue et nous permet de soulager nos genoux fatigués par ces deux heures de descente. On se passe aussi un peu de crème solaire sur le visage. Mine de rien le soleil tape fort, même à travers les arbres.
Chapitre 7 : Tours et détours
Une heure est passée. Nous nous serions bien allongés quelques instants à l’ombre des petits arbres qui bordent la terrasse, mais la route qui nous attend est encore longue. Il nous reste en effet encore une bonne après-midi de marche pour rejoindre Marla et nous voulons y arriver avant que le temps ne se gâte.
Une semaine plus tôt, à Cilaos, nous nous sommes fait surprendre par un violent orage de chaleur caractéristique de l’île. La matinée avait pourtant bien commencé. Le ciel était dégagé et le cirque baigné par un soleil radieux. Alors que nous revenions d’une petite randonnée, le vent s’était levé sans crier gare. En seulement quelques minutes le ciel s’était couvert de nuages sombres et menaçants. Nous avions à peine eu le temps de nous mettre à l’abri dans le premier café venu, avant qu’un véritable déluge ne s’abatte sur nous.
Sauf qu’aujourd’hui, pas d’abri en vue. Nous serons en pleine nature du début à la fin et, malgré leur feuillage épais, les arbres avoisinants ne suffiront pas à nous couvrir. On reprend donc la route en traînant des pieds, un peu mis à mal par la Dodo et la chaleur.
Nous sortons vite de La Nouvelle. Les sentiers, qui étaient jusqu'à présent larges et fréquentés, se rétrécissent pour ne plus laisser passer qu’une seule personne de front. Après une courte mais intense montée, nous nous retrouvons vite face à un choix déterminant : tracer au plus court et arriver au sec, ou faire le détour par la cascade des Trois Roches et marcher une bonne heure de plus.
Discussion collective ; ce n’est pas toujours facile de se mettre d'accord quand on est six. Nous envisageons dans un premier temps de nous séparer en deux groupes. Mais finalement, la promesse de découvrir de beaux paysages et surtout de rester ensemble, nous pousse tous à choisir le chemin de la cascade.
Le sentier monte et descend en suivant le relief escarpé du cirque. Chaque endroit traversé apporte son lot de nouveaux paysages. Parfois, nous nous retrouvons sur de petites crêtes où seuls des arbustes poussent. À d’autres moment, nous traversons de basses forêts tapissées de fougères.
Au prix d’une montée abrupte, proche de l’escalade, nous sortons de la forêt et débarquons sur un petit plateau ensoleillé où pousse de l’herbe jaunie par le soleil. Un panneau en bois, tellement usé par le temps qu’il est difficile de le lire, nous apprend que nous sommes arrivés sur la « Plaine aux Sables ». Je ne comprends pas au premier abord pourquoi une prairie porte un tel nom, mais quoi qu’il en soit ce panneau planté au milieu de nul part est très photogénique. Afin de trouver un meilleur angle pour le photographier, je mets mon genou droit à terre et pose la main droite sur le sol en tentant de m'équilibrer. C’est là que je comprends que l’herbe ne pousse non pas sur de la terre, mais sur une couche de roches volcaniques ocres qui ont été broyées finement par le temps. On croirait bel et bien du sable.
En me relevant, je remarque que les nuages ont maintenant envahi une bonne partie du cirque et se rapprochent dangereusement de nous. Serons-nous encore dehors quand l’orage éclatera ?
Chapitre 8 : Dans la ravine
Si on observe le cirque de Mafate depuis le ciel, on peut facilement en comprendre la typologie. Depuis des milliers d’années, les pluies intenses de l’océan Indien s’abattent sans cesse sur l’île, formant des torrents et des petites rivières qui creusent petit à petit le paysage. Cette lente usure se caractérise surtout par la présence d’étroites ravines qui permettent à l’eau de se frayer un chemin jusqu’à la mer. Ces dernières sont indissociables de l’île tant elles sont nombreuses et nous nous apprêtons justement à en rejoindre une particulièrement imposante : la rivière des galets.
Mais pour ce faire, il nous faut d’abord affronter une descente raide et poussiéreuse nous menant au point le plus bas de notre randonnée. Et qui dit descente, dit montée. Marla, le village où nous dormons ce soir est le village le plus haut du cirque. Nous nous engageons donc sur la piste en sachant qu’il faudra tout remonter.
Le chemin s’avère être assez abrupt à partir de la mi-pente. On glisse en permanence malgré nos bonnes chaussures. Alors on s’assure comme on peut en exploitant le relief. La moindre petite branche qui dépasse nous permet, une fois saisie, de progresser d’un ou deux mètres en toute sécurité. Les gros rochers, plus stables, nous permettent de nous appuyer plus longuement, ce qui nous offre quelques instants de répit.
Sur la fin de la descente, nous croisons un groupe de quatre randonneurs. Leur visage en sueur et leur bonjour essoufflé traduisent un effort intense. Après avoir échangé quelques mots d’usage, on se souhaite mutuellement bon courage pour la suite avant de repartir chacun de son côté.
Une fois en bas, nous longeons la rivière sur quelques centaines de mètres jusqu’à l’endroit où doit se trouver la cascade. Les lieux sont magnifiques, naturels et reposants, mais je suis un peu déconcerté car je ne vois pas de chute d’eau. La rivière des galets semble suivre son cours normalement. C’est en m’approchant que je comprends qu’il n’en est rien. Les énormes roches plates qui composent son lit forment un espèce de trou dans lequel l’eau s’engouffre. La cascade n’est donc pas face à nous comme je l’imaginais de prime abord, mais sous nos pieds.
C’est le moment de souffler un peu pour tout le groupe. Marthe et Aline s’assoient à même le sol, bien vite rejointes par Clémence et Rosenn qui en profitent pour s’allonger et mettre les pieds dans l’eau. Antoine, lui, se pose sur un rocher au milieu de la rivière. De mon côté, je m’élance sur les rochers bien décidé à voir le fond du trou et à trouver un meilleur angle pour admirer la cascade. Arrivé sur un rocher face à elle, j’essaye prudemment de voir où tombe cette eau. Mais c’est peine perdue. Il me faudrait des cordes pour m’assurer, ou encore mieux, un drône pour plonger dans le trou.
De retour près des autres, il est déjà temps de repartir. Nous commençons par remonter la rivière en empruntant un bout du sentier par lequel nous sommes arrivés. Sauf qu’au lieu de tourner à gauche pour revenir à la Plaine Aux Sables, nous continuons de longer le cours d’eau.
Les paysages changent encore et sont complètement différents de tout ce qu’on a vu aujourd’hui. D’abord assez large, la vallée se réduit pour se transformer en une sorte de grand canyon très minéral. Il est rempli de nombreux cailloux qui vont de l’énorme roche au petit galet. Je pense que leur présence ici est due à de nombreux éboulements liés à l’érosion des sols. Quelques arbrisseaux poussent ça et là, mais on est loin des forêts du début de journée.
Sur l’île, chaque nom de lieu a un sens très concret, comme on l’a vu avec la Plaine aux Sables, et la rivière des galets semble donc bien respecter la tradition.
Nous traversons également à gué plusieurs cours d’eau plus petits. Il faut parfois jouer à l'acrobate pour passer, ce qui nous vaut des fous rires, notamment lorsqu’après avoir mal jaugé une distance, je termine le pied dans l’eau.
Après quelque temps à remonter la rivière, notre route nous amène au pied d’un immense éboulement. Il nous faudra le gravir afin d’arriver à Marla. C’est l’ascension finale et ce n’est vraiment pas une mince affaire. À la limite de l’escalade pour certains passages, nous arrivons enfin au bout, une bonne heure et demie plus tard.
Chapitre 9 : Un rhum et au lit
La journée de marche est terminée et il ne nous reste plus qu’à nous installer dans notre gîte, l’Orchidée Sauvage. Ce dernier est composé de plusieurs petites cabanes en bois au toit bleu. Une allée joliment décorée d’une mosaïque bleue et blanche relie les différentes maisonnettes et mène à une terrasse couverte en bois.
Dès notre arrivée, nous nous présentons à la maîtresse des lieux qui nous fait signe d’attendre. Elle doit d’abord installer d’autres randonneurs arrivés avant nous. Quelques minutes passent et notre tour vient. Elle nous explique alors les quelques règles de la maison, avant de nous ouvrir la porte d’un dortoir composé de trois lits superposés. Nous aurons donc chacun notre lit individuel, de quoi passer une nuit bien méritée.
Notre premier réflexe est de nous poser sur les canapés de la terrasse dans un grand soupir de soulagement. La vue devrait être imprenable sur tout le cirque, mais malheureusement, nous ne voyons plus le sommet des montagnes et le vent s’est levé. L’orage éclate finalement une demi-heure plus tard pendant que nous prenons l’apéro avec les randonneurs du dortoir d’à côté. Nous avons bien fait de ne pas trop tarder en route.
On dîne tôt à la Réunion. C’est donc à dix-huit heures trente que nous affrontons le déluge pour nous rendre dans la salle commune. Nous arrivons trempés. Pour nous réconforter, la maîtresse des lieux offre à tout le monde un ou deux verres de rhum arrangé maison.
Avec la fatigue, il ne nous en faut pas plus pour que l’alcool nous monte à la tête. Chacun se surpasse pour raconter la blague la plus nulle qu’il connaisse, les rires fusent. Le dîner créole est excellent. On a même mangé des fleurs au surprenant goût aillé.
Nous nous sommes couchés deux heures plus tard, non sans un dernier fou rire en voyant Aline essayer de tuer un moustique avec sa tong.
Chapitre 10 : Tu vas me manquer Mafate
Réveil matinal après une bonne nuit de sommeil. Je m’habille rapidement avant de sortir en tongs du refuge, direction le petit déjeuner. L’orage de la veille a laissé place ce matin à un ciel d’un bleu parfait. Il n’y a pas un nuage à l’horizon et cela me permet enfin de découvrir le village qui m’entoure. En plus des cabanes aux toits bleus où nous avons dormi, je remarque qu’un magnifique potager a été aménagé au pied du réfectoire. Il y a même des chèvres qui viennent brouter à mes pieds.
Mais ce qui me frappe surtout c’est la vue à 360 degrés sur tout le cirque. Du village, on peut aisément contempler les parois verticales des monts alentours, des pentes du Grand Bénare jusqu’au Gros Morne. On distingue également bien les Trois Salazes, une série de trois petits pics montagneux très marqués qui se trouvent à la frontière des cirques de Mafate et de Cilaos.
L’heure est venue de repartir sur les beaux sentiers de Mafate. Nos jambes sont lourdes sur les premiers mètres (ou comme dirait Marthe sans aucune exagération, « nos jambes sont en bouillie »). Nous commençons la journée en douceur par une première descente, mais nous enchaînons vite avec une montée raide vers un haut plateau parsemé de clairières et de petits bosquets.
Ces derniers, peu denses, sont composés de petits arbres au tronc assez fin mais aux formes biscornues. Ils permettent au soleil doux et matinal de former des ombres étonnantes sur l’herbe qui est d’un vert presque irréel.
Nous profitons de ce moment de répit pour avancer chacun à son rythme. Le groupe est emmené par Marthe, suivie de Rosenn et Antoine. Plus loin Aline et Clémence cheminent ensemble tandis que je ferme la marche quelques mètres derrière elles.
Au bord du sentier, nous croisons également la route de plusieurs spécimens de grenouilles et remarquons d’étranges sculptures en bois posées contre des arbres. L’une d’entre elles en forme de squelette m’intrigue. Elle porte la mention : « Chaque tronc cache un songe ».
Peut-être est-ce une référence à la triste histoire du cirque et de l’île en général. D’après les histoires issues de la tradition orale, Mafate était un esclave vivant au XVIIIe siècle qui est parti en marronnage, se libérant ainsi du joug de ses maîtres. Sa route l’a mené jusqu’au centre de l’île en remontant une rivière de galets. Là haut, poissons et crevettes vivaient en abondance et les arbres offraient des fruits juteux. Sûr que ce lieu était parfait pour ses amis esclaves et qu’ils pourraient y former un clan, il revint les chercher. Ils y vécurent plusieurs années. Malheureusement l’histoire raconte qu’en 1751, Mafate, sa compagne Rahariane et d’autres marrons, furent tués par François Mussard, un cruel chasseur d’esclaves.
Perdu dans mes pensées, je jette un regard au loin et j’aperçois les montagnes escarpées protégeant le cirque. La nostalgie m’envahit. Bientôt nous serons à leurs pieds et il nous faudra les franchir pour revenir à la civilisation. Bientôt donc, nous quitterons ce petit paradis. Il ne nous restera alors que des souvenirs de ces quelques jours passés ensemble. Pour l’heure, c’est le moment d’en profiter.
Après plus d’une heure et demie de marche, nous sommes au pied de la dernière difficulté du jour, celle qui avait mis à l’épreuve nos genoux le premier jour. Un panneau nous informe qu’il reste environ quarante-cinq minutes de marche jusqu’en haut.
Antoine, pris d’une étonnante folie, nous propose soudainement de la monter le plus vite possible. Marthe, Rosenn et moi décidons de relever son défi. Fini de rigoler, je lance le chronomètre et nous accélérons le pas. On enchaîne les virages à une allure folle et on double de nombreux randonneurs. Ils s’arrêtent presque toujours pour nous laisser la place et je lis dans leurs regards qu’ils sont un peu étonnés de voir débouler quatre jeunes à toute vitesse dans une pente aussi raide.
Arrivés en haut, le chrono tombe : je termine premier en un peu plus de seize minutes, tandis que Marthe et Antoine me talonnent avec un peu plus de trente secondes de retard. Rosenn ne tarde pas puisqu’elle arrive deux minutes après moi.
Clémence et Aline, bien qu’elles n’aient pas pris part à notre course effrénée, nous rejoignent à peine une quinzaine de minutes plus tard. On termine finalement avec une belle avance sur le programme, essoufflés et en sueur, mais heureux.
Une heure plus tard.
Je claque la portière de la vieille Hyundai. Mon pied gauche écrase la pédale d'embrayage, je desserre le frein à main et passe la marche arrière.
Le moment est malheureusement venu de te quitter Mafate. Tu vas me manquer. Tu vas nous manquer.