Au coeur du désert : voyage dans le Sahara tunisien
« Quiconque a connu la vie saharienne, où tout, en apparence, n'est que solitude et dénuement, pleure cependant ces années-là comme les plus belles qu'il ait vécues. » écrivait Antoine de Saint-Exupéry dans son essai Lettre à un Otage.
Se perdre dans le désert le temps d’un campement. Sentir le sable chaud sous ses pieds. Prendre le temps d’écouter... le vrai silence. Un programme déroutant pour Clémence et moi qui sommes bien plus habitués aux forêts et aux lacs du Haut Jura qu’à cet environnement minéral. Alors que la neige tombait encore sur les cîmes jurassiennes, nous nous sommes rendus dans le sud de la Tunisie pour vivre un voyage initiatique sur les pas de l’auteur du Petit Prince.
On dit que même au coeur de l’hiver, il n’y fait jamais froid. Qu’allons nous trouver au milieu des dunes ?
Chapitre 1 : En route
Nous voici, Clémence et moi, sur la route de Douz dans le sud de la Tunisie. Claire et Laurent, les parents de Clémence, ainsi que Youssef et Sandrine, des amis de Djerba, nous accompagnent. Cela fait maintenant quelques heures que nous avons pris place à bord du vieux Toyota Landcruiser d’Ali, notre guide, pour ce qui allait être un séjour mémorable en plein coeur du Sahara. Mais ça, nous ne le savons pas encore.
Assis à la terrasse d’un café, un verre d’oranges pressées à la main, nous attendons que Youssef et Ali reviennent. Je me demande bien ce qu’ils trafiquent. Ils sont restés sourds à toutes mes questions sur le déroulé du séjour. Mais je voyais bien leur sourire au coin des lèvres.
Leur 4x4 arrive plus d’une demi-heure plus tard, et à voir leurs visages et leurs grands gestes, ils sont plus qu’impatients de repartir. Nous embarquons sans plus attendre. Ali nous fait quitter la ville par le sud à travers la palmeraie. Après une heure de route plus ou moins goudronnée, nous nous arrêtons au café du Parc, une petite bâtisse assez déroutante qui sert de refuge aux quelques voyageurs du désert. L’endroit est tenu par Mustapha, un ami d’Ali et Youssef, mais nous ne le voyons pas en arrivant. Nous étions pourtant censés le retrouver.
Tandis que nous prenons une pause, j’aperçois Ali charger des tapis sur le toit du véhicule et je commence à comprendre la raison de tout ce mystère. Youssef me montre alors la piste qui se perd dans le désert tout en prononçant la phrase suivante : « Ce n’était pas prévu, mais ce soir, nous dormons là-bas. ».
Nous repartons pour une heure et demie de conduite sportive, les deux roues de gauche dans le sable, et celles de droite sur un semblant de piste. Nous passons d’abord par une sorte de grande étendue rocailleuse, avant de nous enfoncer vraiment dans le sable.
Les paysages prennent une toute autre dimension. Ces décors, que je me suis mille fois imaginés enfant, défilent devant moi. Il n’y a plus de piste apparente depuis déjà plusieurs kilomètres mais Ali ne semble pas perdu. Le Toyota, manié d’une main de maître, bondit de dune en dune, secouant tout l’équipage au passage.
Soudain, après un dernier virage, une tente se dessine au loin. Nous y sommes enfin. Mustapha et Farhat, qui l’accompagne, nous attendent de pied ferme un grand sourire aux lèvres. Tout s’enchaîne vite. En un rien de temps, nous nous retrouvons tous assis autour d’une table basse devant un succulent thé à la menthe accompagné de petits gâteaux. Bienvenue dans le désert.
Nous y sommes enfin. Autour de nous, du sable à perte de vue et des petits buissons de genêts. Le camp a fière allure, bordé par toutes ces dunes. Notre répit sera cependant de courte durée. Le soleil se couche tôt en hiver et la journée est passée très vite. Clémence et moi décidons de prendre un peu de hauteur pour admirer le paysage.
Le feu crépite lorsque nous redescendons au camp et on peut déjà sentir les bonnes odeurs du repas. Nos hôtes n’ont pas perdu de temps et ont transformé la tente en une véritable salle de réception. Nous prenons alors tous place autour de la grande table basse assis sur des coussins multicolores.
Nous avons droit en entrée à une salade froide de bienvenue. Garantie sans piquant. C’en est quand même trop pour nos estomacs d’européens.
Mustafa nous avouera plus tard qu’il voulait jauger par là notre niveau de tolérance aux épices. Un hôte prévenant et compréhensif. Nous n’avons d’ailleurs pas passé le test puisque les autres plats du séjour ont tous été dépourvus de piment.
Le repas terminé, tout le monde sort de la tente pour s’installer autour du feu. Après une journée si intense, certains tombent vite de sommeil et rentrent se coucher. Pour ma part, je décide de rester pour profiter encore un peu de la chaleur du feu mourant. J’écoute, sans rien y comprendre, les mille et une histoires que se racontent en arabe Farhat, Ali, Mustafa et Youssef.
Chapitre 2 : Réveil dans le désert
Il est environ six heures. Je devine les premières lueurs du jour à travers la tente entrouverte, mais je n’ai pas le courage de me lever. Il fait encore bien trop froid à cette heure-ci (et oui, même dans le désert), alors je referme les yeux et me rendors, emmitouflé dans mon sac de couchage.
C’est finalement de bonnes odeurs de cuisson qui me réveillent à peine deux heures plus tard. Je sors alors de la tente et je comprends mieux ce qu’il se passe. Farhat, qui ne se repose jamais, est déjà en train de préparer un pain du désert. Véritable délice, il le prépare toujours minute et le cuit à l’étouffée dans le sable et les braises. Nous y avons droit à chaque repas, pour notre plus grande gourmandise.
On se regroupe tous autour de la table du petit déjeuner. Mustafa rompt le pain, Ali sert le thé ou le café. Entre les oeufs durs, les petits gâteaux et de la vache qui rit tunisienne, il y a pas mal de choix. Je jette mon dévolu sur du miel acheté la veille à un producteur local. Sur du pain chaud, c’est un véritable délice.
Le repas terminé, Clémence et moi préparons nos affaires dans l’idée d’aller explorer les environs, avec pour secret espoir d’apercevoir des dromadaires. On commence par grimper sur la grande dune qui borde le campement. Mais une fois en haut, la suivante nous appelle, plus haute encore. Et ainsi de suite. Malgré un grand soleil, le sable est frais sous nos pieds. On retrouve nos âmes d’enfants en courant dans les descentes.
Nous sommes en plein mois de février. En cette saison, les scorpions et les vipères à cornes sont normalement en hivernage dans le sable. Mais soudain, un buisson sur notre gauche frémit. Je m’approche intrigué. C’est alors qu’un petit lièvre s’en échappe en bondissant, nous faisant sursauter. Soulagés, nous rions aux éclats. Je ne pensais vraiment pas tomber sur un lièvre par ici.
Nous redescendons sur le camp pour midi. Nos compagnons de voyage sont déjà attelés à la préparation d’un déjeuner royal : mijoté de viandes de dromadaire et de mouton, petits pois, poivrons et pommes de terre. Le tout est bien entendu assaisonné d’ail, de beaucoup d’ail. Ils nous expliquent qu’il faut l’incorporer en fin de cuisson pour qu’il garde tout son goût. Je ne peux pas dire le contraire, ça embaume.
Chapitre 3 : Un ciel de feu
Après une après-midi de repos, nous quittons tous ensemble le campement sur les coups de cinq heures. Nous avons dans l’idée d’assister à notre dernier coucher de soleil Saharien. Il nous suffit cette fois-ci de suivre les traces du matin pour retrouver le plus haut sommet. Je suis sûr que le moment est encore plus beau vu du haut.
D’abord tranquilles, nos pas se font désormais plus pressés tandis que les dernières lueurs du jour accentuent les ombres et teintent le sable d’une couleur orangée. Youssef, parti en éclaireur, nous encourage : « Par ici, venez, c’est encore mieux là haut ! ». Un dernier petit effort, et nous y sommes. Nous nous installons l’appareil photo en main, prêts à capturer l’instant. L’immensité du désert est là, tout autour de nous et seul l’horizon nous empêche de voir plus loin. Nous contemplons en silence la descente du soleil derrière les dunes, jusqu’à ce moment parfait où il fusionne avec le sable. Il illumine alors une dernière fois le ciel d’une myriade de couleurs chaudes, avant de s’éteindre jusqu’au lendemain.
On reprend vite nos habitudes de la veille pour finir la soirée. Ali ravive le feu et nous nous installons autour pour discuter. Cette nuit dans le désert est marquée par un magnifique ciel étoilé. Pas de lune à l’horizon ni de nuages, le ciel bien noir permet de contempler la voie lactée. Ça fait longtemps que je ne l’avais pas vue aussi belle ! Je fais durer ce moment le plus possible, jusqu’à ce que la fraîcheur du soir me pousse à regagner la tente.
Chapitre 4 : Triste réalité
Le petit déjeuner est déjà servi lorsque j’émerge de mon sommeil. Il faut dire que je ne suis pas pressé de lever le camp. En bon retardataire, j’avale mon café rapidement pour aller aider les autres qui sont déjà en train de ranger leurs affaires.
Toute trace de notre passage doit disparaître : désert de sable ne doit pas rimer avec désert de plastique. J’ai été tristement étonné d’en avoir vu autant à l’aller, dans ces endroits qui me paraissent si reculés… Quel dommage ! Ça ne fait que renforcer notre volonté à Clémence et moi, de faire très attention à tous ces petits emballages souvent superflus, à leur utilisation et à leur fin de vie. Même si ce n’est pas facile tous les jours.
C’est le moment de quitter nos amis Mustafa et Farhat, mais nous ne sortons pas pour autant du désert. Nous sommes attendus à l’oasis de Ksar Ghilane. On emprunte des pistes arides et bossues, à peine visibles. Main gauche bien accrochée à la poignée de porte, main droite à la barre du dessus : on limite les secousses comme on peut.
Une caravane croise notre chemin, c’est l’occasion de voir enfin des dromadaires. Nous faisons un court arrêt car il reste encore deux bonnes heures de route.
En arrivant vers l’oasis, j'aperçois un ancien fort romain. Il marque l’entrée, ou la fin, du désert depuis des centaines d’années. J’essaye d’imaginer l’histoire de ceux qui l’ont construit il y a si longtemps et ce qui les a menés là, si loin de tout. Le retour à la réalité est rude en voyant des dizaines de touristes s’y rendre en quad.
On s’arrête dans un petit restaurant à l’entrée du village. Après un excellent couscous, je subis de plein fouet une seconde désillusion en découvrant la source d’eau chaude. Cet endroit pourrait être agréable s’il n’était pas utilisé comme piscine municipale ni aménagé exclusivement pour le tourisme. Des bars sont construits au plus proche de l’eau et on ne peut pas manquer les dizaines de loueurs de quads juste derrière.
Le retour se fait en douceur. Nous retrouvons une route en asphalte. Le sable laisse place à quelques vallées verdoyantes où les paysans s'attellent aux travaux des champs. Le paysage défile sous mes yeux et je repense déjà avec nostalgie à ce petit campement dans le désert du Sahara.
Merci à Ali pour ta joie et ta bonne humeur. Merci à Mustapha et Farhat pour ce campement magique. Merci à Claire, Laurent, Sandrine et Youssef pour avoir organisé ce magnifique séjour.
Tunisie, on reviendra. C'est promis !