Birmanie, trois jours dans les montagnes de l’État Shan - Partie 2
Ce récit raconte la suite de mon périple de quelques jours dans les montagnes de l’État Shan en Birmanie. Si tu ne l’as pas encore fait, je te conseille de commencer par lire la première partie avant de revenir ici.
Tout a commencé dans les montagnes de la ville coloniale de Kalaw avec mon amie Aurore. Après avoir passé une soirée mémorable dans un bar birman à boire du rum sour au son de la guitare, nous avons ensuite pris la route pour trois jours de marche en direction du lac Inle.
Maung Myoe, notre guide, nous a d’abord entraîné sur des sentiers de montagnes à travers de magnifiques cultures. Puis nous avons longé une voie ferrée jusqu’au village fleuri de Shar Pin où nous nous sommes arrêtés pour la nuit. C’est au moment du dîner que Lu Chaw, l’organisateur de ce trek, nous a finalement rejoint.
Demain, nous reprenons la route, toujours en direction du lac Inle.
Chapitre 5 : En dehors des sentiers battus
Nous nous levons avec le soleil. Il fait frais ce matin et mes habits sont encore froids et humides de la veille. Je frissonne avant de les enfiler, mais je ne me plains pas car je sais qu’il fera bientôt chaud, très chaud.
Nous quittons à regret ce magnifique village de montagne. Nos hôtes de la nuit nous font signe de loin, les enfants nous accompagnent sur quelques centaines de mètres au-delà du village... c’est fou comme on peut s’attacher si vite à un lieu et à ses habitants.
La journée commence d’un bon pas tandis que nous parcourons des paysages similaires à la veille. Comme je l’espérais, Lu Chaw est un véritable amoureux de sa région et il complète à merveille les enseignements de Maung Myoe. À voir leurs sourires complices, on sent tout de suite qu’il existe une belle amitié entre eux.
Fleurs de sureau, gingembre, ail, clémentines et café sont au rendez-vous aujourd’hui. Il y a tant de choses en si peu de kilomètres. Je suis encore une fois émerveillée et époustouflée par la richesse et la diversité des cultures birmanes. Moi qui adore les fruits, je suis ici au paradis.
Puis, tout en perdant un peu d’altitude, les arbres se raréfient et laissent place, petit à petit, à des champs plus arides. Nous n’avons bientôt plus que nos chapeaux pour nous abriter de ce soleil de plomb.
Ce nouveau décor est tout aussi beau bien qu’il soit très différent. La terre, marquée par la présence de fer, prend une couleur orangée. À cette époque de l’année, blé et pomme de terre ne sont pas encore cultivés ce qui rend le paysage bien plus désertique qu’à d’autres saisons.
Après une douzaine de kilomètres, nous arrivons au village de Kun Lon où un superbe déjeuner nous attend : salade d’avocats, de choux et de feuilles de thé vert en entrée, nouilles aux légumes et oeufs en plat principal et pour finir, des ananas, des poires et des pastèques en dessert.
La chaleur rendant la journée assez éprouvante ; on prend le temps de se reposer dans la maison de nos hôtes. J’en ai même profité pour faire une petite sieste à l’étage, ce qui ne m’arrive jamais d’habitude. On s’habitue finalement très rapidement à ce rythme au ralenti.
Chapitre 6 : Pagodes et fête du village
Nous repartons sous les coups de quatorze heures. Après quelques kilomètres, nous croisons la route de temples dont je ne saurais dire s’ils sont abandonnés ou particulièrement anciens.
Ils m’intriguent et je ne peux m’empêcher de vagabonder entre les différentes pagodes pour en découvrir tous les recoins. J’observe les traces laissées par le temps sur ces édifices dont le blanc, habituellement éclatant, est désormais terne et où les dorures ont disparu depuis bien longtemps. Je les trouve tellement plus beaux et relaxants que les pagodes surchargées d’or et bondées des grandes villes.
Alors que nous nous reposons à l’ombre d’un arbre face aux temples, Lu Chaw se confie à nous sur son histoire et plus généralement sur celle des habitants de l’état Shan.
Il nous raconte que la vie à la campagne, qu’il appelle le « countryside », est très dure et que la population dispose de très peu de moyens financiers.
C’est une des raisons qui pousse de nombreuses familles, parmi les plus pauvres, à confier leurs enfants au monastère dès l'âge de quatre ans afin de leur apporter une « bonne éducation ». Les écoles sont peu nombreuses et donc souvent éloignées des villages. De plus, il n’y a pas de collèges en dehors des villes. Il faut donc prévoir beaucoup d’argent pour le logement et les déplacements si l’on veut que ses enfants puissent suivre un cursus scolaire classique.
À l’inverse, les monastères sont nombreux et dispensent une éducation « relativement normale » et transmettent de nombreuses autres connaissances aux enfants des alentours. Le tout gratuitement.
Lu Chaw y a passé douze années de sa vie. Ils sont beaucoup à entrer au monastère. Ils sont à contrario très peu à quitter cette voie toute tracée depuis leur plus jeune âge. Lu Chaw, lui, a choisi d’en partir car il voulait mener une vie différente : trouver un métier, voyager et parcourir son pays. J’admire son courage.
Après ce récit fort en émotions, nous reprenons tout doucement la route et arrivons à destination de Partu. Je crois qu’on a marché aujourd’hui une bonne vingtaine de kilomètres et je commence à le sentir dans mes jambes.
Ce village est très différent de celui de la veille. Beaucoup de maisons sont construites en briques et c’est le cas de celle où nous sommes hébergés. Surprise, il y a même une petite cabane en bois au fond du jardin prévue pour la douche. Ça fait beaucoup de bien après cette journée bien chaude.
Nos hôtes, très timides, sont aussi sympathiques que discrets. Lu Chaw et Maung Myoe jouent les parfaits entremetteurs entre eux et nous. La cohabitation se fait tout en sourires et respect mutuel. C’est dans ces moments là que j’aimerais parler leur langue.
Nos deux compères nous emmènent ensuite à quelques centaines de mètres de là pour aller admirer le coucher de soleil sur une colline voisine. Le ciel n’est pas voilé ce soir et la vue est à couper le souffle !
Nous rentrons ensuite à la maison pour le traditionnel dîner. Cette fois-ci, Lu Chaw et Maung Myoe sont aux fourneaux. Ils nous préparent du poulet au gingembre accompagné de riz et d’une salade de tomates et de haricots. On se régale encore et toujours. La cuisine birmane est étonnante et savoureuse avec juste ce qu’il faut d’épices pour sublimer le plat.
Soudain, des chants et des musiques se font entendre au loin. Intrigués, nous tendons l’oreille. Les chants se rapprochent peu à peu de nous. On aperçoit alors toute une procession s’approcher : les hommes d’abord, suivis ensuite par les femmes et les enfants. Tous sont en file indienne à chanter et danser. Ils nous saluent même en passant devant nous.
Lu Chaw nous explique que ces processions précèdent une cérémonie d’entrée au monastère. À cette occasion, tous les habitants des villages voisins se regroupent ici munis d’offrandes et parés de leur tenue traditionnelle. À les voir défiler sous mes yeux, je prends un peu plus la mesure de ce que nous a expliqué Lu Chaw quelques heures auparavant.
On finit notre repas avant de gagner le coeur du village afin d’assister aux prémices des festivités annoncées. Elles durent habituellement plusieurs jours et tout le monde est maquillé et habillé soit en noir, soit avec une multitude de couleurs, du vert, du jaune, du rouge. Nous assistons à des échanges de cadeaux et d’offrandes.
L’ambiance est à la fête et cela se sent. Cette joie de vivre nous invite à plonger dans cet univers totalement inconnu et nous passons le reste de la soirée au milieu de toute cette effervescence.
Chapitre 7 : On quitte les montagnes
Après une nuit particulièrement bruyante et glacée, je serais bien restée un peu plus longtemps au lit. Mais l’appel du ventre est plus fort que tout. Et ça tombe bien parce que ce matin, Lu Chaw et Maung Myoe ont repris les rennes de la cuisine pour nous préparer de délicieux pancakes.
Rien de tel qu’un aussi bon petit déjeuner pour me motiver. C’est parti pour les dernières heures de marche jusqu’au lac Inle. Saison sèche oblige, il y a assez peu de paysans dans les champs. On croise cependant de nombreuses birmanes, surchargées, qui remontent dans les montagnes.
À notre passage, elles échangent toutes quelques mots avec Lu Chaw. C’est d’ailleurs ce qu’il se passe à chaque fois que nous croisons quelqu’un. Je suis surprise par l’aisance avec laquelle il mène une conversation, à croire qu’il connaît tout le monde. Je lui demande alors, intriguée, quelles sont toutes ces choses qu’ils se racontent. Lu Chaw m’explique qu’il ne les connaît pas, mais qu’il est de coutume de toujours demander à un passant d’où il vient et où il va.
Nous apprenons qu’elles reviennent du marché de Done, une ville bordant le lac, située à plusieurs kilomètres de là. C’est en effet leur seul moyen de se procurer de la nourriture à cette époque de l’année. Elles se sont donc levées très tôt pour faire l’aller-retour dans la journée. Leurs enfants les accompagnent.
La progression des femmes et enfants se fait par petits groupes et est assez lente. Le chemin escarpé n’aide pas ! Chaque pas est rythmé par un longyi trop serré et des tongs glissantes qui les empêchent de faire grandes enjambées. Leur paquetage, aussi volumineux que lourd, n’arrange rien. Les pauses sont rares puisque chaque arrêt nécessite une coordination entre toutes les porteuses pour enlever ou remettre leurs pyramides de sacs.
Après quelques kilomètres de descente, nous arrivons au pied de la montagne. Le terrain redevient quasiment plat et laisse place à une énorme forêt de bambous que nous mettons de longues minutes à franchir. On traverse quelques derniers villages avant de nous arrêter dans une fabrique de sucre brun.
Lu Chaw, toujours avide d’enseignements, nous fait visiter l’endroit. Il nous explique les différentes étapes de la fabrication du sucre et les machines utilisées. Tout ceci me rappelle un peu les usines sucrières que j’ai eu la chance de visiter à la Réunion. #rhumgoyave
On poursuit ensuite notre chemin pour arriver au fameux village de Done. Le décor change à nouveau du tout au tout. L’horizon redevient infini et n’est plus brisé ni par les montagnes, ni par les forêts. Nous parcourons les derniers mètres qui nous séparent du lac Inle.
On découvre nos premières maisons sur pilotis et on aperçoit de nombreuses embarcations qui vont et viennent sur les canaux avec leur bruit de moteur si caractéristique. Le calme des montagnes me semble déjà très loin.
Chapitre 8 : Lac Inle
Après toutes ces aventures, je ressens cette joie immense d’enfin découvrir le lac Inle pour la première fois de ma vie. Mais en même temps cela veut dire aussi que nos chemins se séparent ici avec Lu Chaw et Maung Myoe... On les quitte avec un petit pincement au coeur.
Pour l’heure, nous n’avons pas le temps de nous replonger dans nos souvenirs de ces derniers jours. Notre embarcation nous attend Amanda, Arthur, Aurore et moi. Elle doit nous conduire jusqu’à nos hébergements respectifs.
On prend tous place à bord de la pirogue et on quitte Done déjà captivés par ce nouveau décor qui s’offre à nous.
Nous traversons pendant de longues minutes un petit bras d’eau entouré par de nombreuses plantes aquatiques qui viennent chatouiller la proue de notre embarcation. Notre chauffeur, coiffé de son magnifique kha mauk, s’y fraye un chemin. On peut dire qu’il manie sa pirogue d’une main de maître.
Après quelques centaines de mètres, le canal s’agrandit soudainement pour nous laisser découvrir un lac Inle dans toute sa splendeur. Il y en a de la vie ici.
Nous découvrons d'abord les magnifiques jardins flottants. Certains inthas (que l’on peut traduire par « fils du lac ») y travaillent depuis leurs pirogues. Le lac est assez peu profond, il est donc aisé d’y planter et d’y cultiver des plantes de toutes sortes.
Nous arrivons ensuite à proximité de maisons sur pilotis très sommaires. Pourtant, un charme fou s’en dégage dans le reflet de l’eau et des montagnes au loin. Le décor est digne d’une carte postale et j’ai envie de tout photographier.
Nous apercevons également, au loin, des pêcheurs inthas au sommet de leur art. Ils exécutent une fascinante chorégraphie, debout à la poupe de leur pirogue. Ils n’utilisent qu’une longue pagaie pour se déplacer, qu’ils enroulent autour de leur jambe tel de véritables acrobates. Ainsi, ils gardent les mains libres pour manier leurs filets. Ils sont même capables de pêcher et de manoeuvrer leur embarcation en même temps. Je suis impressionnée par cette technique si particulière et théâtrale. Je n’avais jamais vu ça auparavant, c’est incroyable et si beau à regarder.
Nous sommes si absorbés par ces magnifiques paysages marins que nous ne remarquons que tardivement que notre pirogue vient de s’arrêter à côté d’un immense ponton en teck. Derrière lui se trouve un bel hôtel sur pilotis ; nous sommes toujours en plein milieu du lac. Notre chauffeur nous fait comprendre par quelques gestes que nous devons descendre ici Aurore et moi.
Nous saluons une dernière fois Amanda et Arthur depuis le ponton, en espérant les recroiser à Nyaung Shwe, la principale ville du lac. La pirogue repart rapidement. Nous les regardons s’éloigner encore quelques instants avant de nous retourner et de franchir le seuil de l'hôtel.
Ces trois jours auront été une parenthèse magique et enchantée qui me marqueront longtemps. Je repense aux montagnes de Kalaw et à ces moments passés avec Maung Myoe lorsqu’il nous faisait découvrir la flore locale. On en a fait du chemin et tout n’a pas été facile. Je me souviens aussi de l’arrivée de Lu Chaw le soir du premier jour et des longues discussions que nous avons eues le long des chemins. Et enfin, ce lac aux milles superlatifs.
Merci à Lu Chaw pour ton partage et pour nous avoir fait découvrir ton pays d’une si belle manière. Merci à Maung Moye, à ce rythme tu seras rapidement un guide confirmé. Merci à toutes ces familles qui nous ont si bien accueillies. Merci à Amanda et Arthur pour ces quelques jours passés ensemble.
Et enfin, merci à toi ma Roro de m’avoir accompagnée au bout du monde et d’avoir partagé toute cette aventure avec moi.